Liceité d’une clause en paiement différé et validité d’un contrat de marché public de travaux requalifié
Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 3 avril 2024, 472476, Publié au recueil Lebon
Le Conseil d'État a rendu une décision importante concernant un contrat de bail en l'état futur d'achèvement (BEFA) conclu entre un centre hospitalier public et une société civile immobilière (SCI). Ce contrat portait sur la location de deux bâtiments, dont un nécessitait des aménagements, et la construction d'un nouveau bâtiment. Cependant, le centre hospitalier a suspendu le paiement des loyers après avoir craint que les conditions du contrat ne compromettent sa responsabilité pénale, en raison de la présence d’une clause de paiement différé, réputée illicite dans le cadre des marchés publics.
I. Qualification du contrat : marché public de travaux soumis aux règles de la commande publique
Le contrat initialement qualifié comme un marché public de services (échu des règles de passation de la commande publique) a été requalifié par le Conseil d'État en marché public de travaux. Bien que le centre hospitalier avait opté pour un BEFA (généralement exonéré des règles de publicité et de mise en concurrence), le juge a souligné que la nature même du contrat – notamment l’influence déterminante du pouvoir adjudicateur sur la conception du bâtiment, comme ses aménagements et la construction d’un nouvel ouvrage – justifiait la qualification de marché public de travaux.
Le critère clé de cette requalification est l’influence déterminante de l'acheteur sur la conception et la réalisation des travaux, tel que prévu par le Code de la commande publique. Le pouvoir adjudicateur, dans ce cas le centre hospitalier, avait le rôle de maître d’ouvrage sur la structure architecturale et les aménagements spécifiques des bâtiments. Cette influence est déterminante pour qualifier le contrat de marché public de travaux.
II. Les conséquences de la requalification sur la validité du contrat
Le contrat comportait une clause de paiement différé qui stipulait que le centre hospitalier paierait les loyers et surloyers à la SCI après un certain délai. Or, cette clause est illicite dans le cadre des marchés publics de travaux, comme le prévoit l’article L. 2191-5 du Code de la commande publique. Cette interdiction des clauses de paiement différé est un principe largement accepté, et la requalification du contrat en marché public de travaux rend cette clause illégale.
La Haute juridiction a précisé que l’illégalité de cette clause est un vice d’ordre public, qu’elle peut relever d’office dans un contrôle juridictionnel. Le centre hospitalier avait d’ailleurs suspendu son exécution en raison de cette clause, et a sollicité l’annulation du contrat pour cette raison.
Le Conseil d'État a validé l’annulation du contrat en raison de l'illégalité de la clause de paiement différé. Le contrat a été jugé invalide car la clause était indivisible du reste du contrat et entachait la légalité de l'ensemble de l’accord. Le juge a estimé que l’illégalité de cette clause, compte tenu de son lien avec la nature même du contrat de marché public de travaux, justifiait l’annulation du contrat, conformément aux principes dégagés dans la décision Béziers I.
Le Conseil d'État a donc réaffirmé l’interdiction des clauses de paiement différé dans les marchés publics de travaux, en particulier dans les contrats qui relèvent des règles de passation de la commande publique. Cette décision marque un tournant, notamment en ce qui concerne la possibilité pour le juge administratif de relever d’office l’illégalité de telles clauses. L’arrêt souligne aussi l'importance de la qualification correcte des contrats en fonction de l’influence exercée par la personne publique sur la réalisation des travaux, ce qui peut entraîner des conséquences juridiques majeures, comme l'annulation du contrat.